Heinrich Böll

En Allemagne, aujourd’hui 21 décembre 2017, tout le monde parle de Heinrich Böll, mais qui en parle en France ? Dans le dossier Allemagne du dernier numéro de Translittérature, Nicole Thiers cite Böll comme faisant partie de la douzaine d’auteurs allemands d’après-guerre dont plusieurs œuvres ont été traduites en français. Si l’on s’en tient à la bibliographie de Wikipedia, cela fait tout de même une trentaine d’œuvres. Le premier roman-nouvelle paru de Böll, Der Zug war pünktlich, 1949, est paru en français en 1967… c’est pénible de rechercher sur le net à partir de quand il a été traduit en français, d’autant que ça n’a l’air d’intéresser personne, le net cite allègrement les ouvrages en traduction française avec la date de parution de l’original. 30 traductions en français, soit. Ce n’est tout de même pas mal. On a pour ainsi dire l’Oeuvre de Böll disponible en français, en principe du moins. S’il existait une Académie allemande française comme il existe une Académie française allemande, quelqu’un aurait peut-être eu l’idée de rassembler cet Œuvre en français à l’occasion de ses 100 ans et du cinquantenaire de son Büchner-Preis, il reste encore une chance par exemple pour le cinquantenaire de son prix Nobel, dans 5 ans.

L’objet de cette insertion, c’est que nous disposons dans les archives d’un texte de Böll qui relate un voyage officiel à Paris, en compagnie d’autres auteurs allemands, en mai 1953. Et nous disposons aussi de la traduction réalisée par les soins de Bernard Lortholary, une traduction que mon père a annotée d’une quarantaine de fiches de traduction, sans doute à l’occasion d’un cours donné à l’Ecole Normale Supérieure. Ce texte est apparemment un introuvable de Böll. Il a d’autant plus intéressé mon père que c’est mon père qui a guidé le groupe à Paris à cette époque. Ce n’est pas mentionné dans le texte. Ma mère dit que c’était une chance pour lui de décrocher ce boulot de guide et ensuite, il a aussi guidé une délégation de bibliothécaires allemands. Sinon, le quotidien était plutôt fait de touristes allemands habituels.

A lire Böll, on a l’impression que les auteurs allemands sont très occupés par eux-mêmes, notamment cette situation inédite qui leur permet de mettre entre parenthèses leurs querelles.

Mai 1953 : les métros font grève, les maisons d’édition semblent figées au temps de Balzac, les revues littéraires comme Les Temps Modernes produites sur un coin de table. Les écrivains ne vivent pas de leur plume.

Böll écrit comme un boursier qui doit justifier son séjour, mais bon, il écrit à la Böll, c’est le côté humain qui prime, et il revient sur cette situation de proximité apaisante des adversaires. Et tout autant à la Böll, il se refuse à mettre particulièrement en scène le clou de cette histoire, lorsque les auteurs allemands s’affrontent au sujet de Jünger et que tout d’un coup, un extincteur se décroche et se déclenche. Il ne s’attarde pas non plus sur les nuits passées à discuter, il se contente de dire que cela durait en général jusqu’à 3 heures du matin, mais rien sur le côté carte postale, St Germain-des-Prés, les existentialistes, le jazz…

En mai 1953, mon père avait sans doute juste achevé la traduction d’En attendant Godot, les séances de travail avec Beckett. Ma mère était à Paris, déjà, elle aussi, elle avait pris un congé de plusieurs mois, travaillait comme jeune fille au pair, prenait des cours à l’Alliance française et les chemins de mes parents ne s’étaient pas encore croisés. L’éditeur allemand Fischer s’était déjà assuré les droits de représentation de la pièce à scandale de Beckett. Peter Suhrkamp, l’éditeur qui avait fondé une maison d’édition éponyme, était venu trop tard et avait dû se contenter des droits de publication. Le théâtre d’Adamov, de Ionesco, ce théâtre de l’absurde dont on parlera plus tard, la délégation des auteurs allemands en a-t-elle appris l’existence ? Et qu’ont-ils appris des nouvelles tendances littéraires françaises ? Les gommes, ont lit sur le net que le roman paraît en 1953. Quand précisément ? Gageons à l’automne, à la rentrée. La visite a lieu entre En attendant Godot et Les gommes, pour ainsi dire. Mais les auteurs allemands ne sont pas au courant.

Plus tard, mon père aura l’occasion de revoir Böll, qui avait une grande admiration pour Beckett, au point qu’il chargeait parfois mon père de transmettre à Beckett tel ou tel ouvrage. Et plus tard encore, au cours des années 70, quand le projet de collège européen de la traduction a émergé, mon père l’a placé sous le haut patronage de quelques illustres personnes, dont Beckett et Böll.

Böll a tenu l’un de ses tous derniers discours en 1985, lors de l’inauguration du Collège définitif à la Kuhstrasse. Et je me souviens que mon père m’a raconté que l’entretien que Böll a eu alors avec qui sait le curé de Straelen a joué un rôle dans la décision d’autoriser un enterrement religieux alors qu’il avait ostensiblement quitté le giron de l’église, de pair avec son épouse Annemarie Böll, comme on peut le lire sur Wikipedia. Il aurait dit alors à Straelen quelque chose comme « Ne croyez pas que, puisque j’ai quitté l’église, je ne crois plus en Dieu », et cela a été pris en compte.

Mes grands-parents, les parents de mon père, ont également quitté le giron de l’église, mais pas à la même époque et encore moins pour les mêmes raisons. Mais c’est une autre histoire.

Ce n’est pas vraiment plus drôle de revenir à nos moutons, les archives. Car dans le cas de Böll, il s’est produit le 3 mars 2009 quelque chose de rare : les 140 mètres linéaires que représentaient ses archives, dont 80 000 lettres, ont été annihilés dans l’écroulement des archives municipales de la ville de Cologne, où ces documents étaient soigneusement entreposés. Peut-être que cela a contribué à ce que la France passe largement sous silence le centième anniversaire de Böll : pas d’archives, pas de thésard, pas de thésard, pas de promotion universitaire. Et peut-être aussi que cela donne une certaine valeur supplémentaire à ce document apparemment inédit, ce bref récit du séjour de Böll à Paris en mai 1953.

En ce mois de mai 1953 à Paris où il fit lourd le 22, mais peut-être que la délégation allemande était alors déjà repartie. Et de Django Reinhardt au nom germanique, ni Böll ni sans doute la plupart des écrivains allemands (sauf Jünger !) ne savaient rien.