Le Collège européen des traducteurs, à Straelen, existe depuis 40 ans

L’association de tutelle de l’institution qui emménagera à partir de 1985 dans le pâté de maisons complètement restructuré de la Kuhstrasse de Straelen, a vu officiellement le jour il y a quarante ans, le 10 janvier 1978. Dans son édition de l’automne 2017 (n°52), la revue Translittérature a intégré dans son dossier « Allemagne » un article signé Nicole Thiers, revenant sur la genèse d’une utopie qui a pris naissance au sein de la famille Tophoven, à partir de la fin des années soixante. L’article se fonde sur des citations tirées de diverses interviews et conférences d’Elmar Tophoven.

En gros, les années soixante ont été marquées, en Allemagne, par une prise de conscience collective du statut social des travailleurs du texte. Les traducteurs se sont réunis, ils ont perçu déjà à cette époque et de façon vive la menace que faisait peser sur eux la perspective d’une traduction automatique. La création de l’association du Collège s’inscrit en fait comme l’un des aboutissements d’un « âge de la traduction », auquel Elmar Tophoven a eu sa part de la façon suivante.

En traduisant Samuel Beckett et à la faveur des nombreuses séances de travail à Paris avec l’auteur, Elmar Tophoven a été conduit à développer une attention particulière vis-à-vis de son travail. La notoriété exceptionnelle de Samuel Beckett en Allemagne a attisé la curiosité du public allemand quant au travail de transposition de cette œuvre. Parallèlement, les traducteurs allemands se sont confrontés lors de séminaires aux outils linguistiques universitaires, eux-mêmes enrichis par les exemples tirés de la pratique de la traduction. Ce fut un moment fondateur d’une nouvelle branche de la linguistique, la traductologie ou translatologie.

Chaque année, lors des rencontres de Esslingen, les traducteurs avaient coutume d’inviter un linguiste dont la conférence était ensuite souvent perçue comme trop théorique. Mais un jour, la présentation par Elmar Tophoven de ses notes de traduction fi mouche en présence du linguiste autrichien Mario Wandruszka. Dans la foulée, un rapprochement intéressant s’effectua entre la théorie et la pratique. La linguistique proposa aux traducteurs quelques concepts simples facilitant l’identification des types de problèmes de traduction, par exemple comme problèmes lexicaux, syntaxiques ou sonores.

Les ateliers pratiques de traduction qui étaient organisés dans le cadre des Entretiens de Esslingen agissaient comme des moments de grâce. Parallèlement, Elmar Tophoven trouvait à Paris des oreilles attentives à sa façon pédagogique de mettre en lumière le processus de traduction. Tant le Goethe Institut que l’Ecole Normale Supérieure, où il prit en 1970 la succession de Paul Celan, lui servaient de laboratoire et ne faisaient que renforcer l’idée de lieu collectif de la traduction qui germait alors en lui. Un lieu qui serait un laboratoire vivant, où les traducteurs disposeraient en permanence de l’appui de linguistes qui pourraient de leur côté puiser aux premières sources. Un lieu où l’aide du linguiste serait idéalement complétée par celle du traducteur complémentaire, du natif traduisant dans l’autre sens.

L’année 1972 donna à cette utopie une tournure historique concrète. Elmar Tophoven avait pris un vif plaisir à traduire une mise en scène de l’œuvre de Rabelais par Jean-Louis Barrault, et l’abbaye de Thélème était déjà devenue pour lui une sorte de référence mythique. Surgit alors également la réminiscence de l’école de Tolède. Il eut l’occasion de se rendre à plusieurs reprises dans cette ville séduisante, même si elle ne garde plus de traces de ce pan de son passé. Désormais, en se plaçant dans la lignée de l’école de Tolède, l’utopie d’un collège de traducteurs se rapprocherait un peu de la réalité.

La famille Tophoven était originaire de Wachtendonk, une petite ville située à quelques kilomètres de Straelen. C’est là qu’Elmar Tophoven eut l’idée d’ancrer son projet, car une vieille et belle bâtisse de ferme y était à l’abandon. Cependant, la petite bourgade manquait de moyens financiers, tout à la différence de la ville de Straelen qui, en 1975, venait de remporter un concours national d’urbanisme. Un tel collège semblait parfait pour occuper un bâtiment central à construire près de la place du marché. Mais finalement, on opta plutôt pour un groupe de cinq maisons en attente de restructuration. Il s’agissait d’une opération d’envergure et dans un premier temps, la municipalité mit à disposition une maison de ville assez étroite, mais pourvue de 6 cellules de vie et d’une bibliothèque. C’est là que l’on testa pour la première fois la traduction assistée par ordinateur.

Dès lors, Straelen devint une référence internationale suscitant l’intérêt de traducteurs des quatre coins du monde, mais aussi de personnes désireuses de s’inspirer de ce premier modèle. De fait, d’autres collèges virent bientôt le jour à Arles, Tarazona (Aragon), l’île de Procida près de Naples, Norwich en Angleterre (à l’instigation d’un certain W.G. Sebald). La liste n’est pas close.

Im Tophoven-Archiv befindet sich eine ganze Reihe von Dokumenten, die den Entstehungsprozess des Übersetzerkollegiums veranschaulichen.