Pas médecin, malgré lui

Il y a 74 ans, Elmar Tophoven se trouvait depuis huit mois environ dans un camp américain de prisonniers de guerre à Mourmelon-le-Grand. Il ne savait pas quand il en sortirait, mais il avait eu la grande joie de revoir son père vivant dès le début de l’été 1945, alors qu’il était interné au camp d’Attichy. Il avait ensuite attendu de longs mois des nouvelles de sa famille.

Depuis qu’il était arrivé à Mourmelon-le-Grand, il occupait son temps à rédiger un journal quotidien intitulé le Stacheldrahtexpress, L’Express des barbelés, du mois d’août jusqu’à Noël 1945. Parallèlement, il avait préparé un spectacle de Noël, Stille Nacht, avec l’illustrateur du journal, qui en avait ensuite profité pour s’enfuir. Il y avait eu ensuite une autre revue scénique, intitulée Die Traumrakete, La fusée des rêves, écrite et mise en scène par ses soins.

Elmar avait appris le français à l’école, avant de partir à la guerre à 17 ans, en 1940. Avant le début de l’invasion de l’Union soviétique, il avait été stationné en France et en Belgique. Après la débâcle de Stalingrad, il avait été rapatrié à Laval, où il était resté jusqu’en mai 1943. Il a conservé quelques ouvrages qu’il a alors lus et annotés, dont le Lys rouge d’Anatole France et Le cahier bleu de Mlle Cibot de Gustave Droz, qu’il semble avoir achevé dans les Pouilles en août 1943. Ces connaissances de la langue française ont sans doute facilité son apprentissage de la langue italienne, au point que l’infirmier qu’il était devenu s’était proposé bientôt - sans succès - comme interprète pour son unité.

Deux ans et demi plus tard, le 6 mars 1946, à Mourmelon-le-Grand, ce sont sans doute les Américains qui lui demandent d’intervenir comme interprète, à la porte du camp. Elmar à l’occasion de faire un brin de causette avec un gendarme, qui lui demande son âge, et qui apprend ainsi que son interlocuteur entame le jour-même sa vingt-quatrième année. Le prisonnier regrette que le camp ne dispose pas d’une bibliothèque. Les détenus ont construit de leurs mains un vrai théâtre en même temps que leurs baraquements, mais il leur manque des textes. Il a bien monté quelques spectacles, mais il ne se sent pas la créativité d’un Molière. Justement, disposer d’une de ses farces, voilà qui leur changerait les horizons. Un peu plus tard, le gendarme dépose pour lui un exemplaire du Médecin malgré lui, dont il ne reste aujourd’hui plus de trace, à la différence de la traduction qu’il entame alors avec les moyens du bord. Par miracle, les archives privées disposent également d’une photo de la représentation, avec des prisonniers travestis.

Elmar a raconté tout cela lorsqu’on lui a demandé comment était née sa vocation. Selon Solange Arber, qui va bientôt soutenir une thèse sur le traducteur littéraire, ce dernier a raconté ce déclic initial à plusieurs reprises et avec des détails différents. A l’époque, le fils aîné du médecin du village, qui avait étudié quelques rudiments de médecine en 1944 - après le mitraillage de son ambulance, un dimanche dans les Abruzzes, auquel il a miraculeusement survécu - se destinait encore à cette profession. Convalescent, il s'était inscrit comme auditeur lire à l'université de Pavie. Début 1945, le caporal qu'il était avait eu à sa charge plusieurs dispensaires. Au camp, il était apparemment employé comme infirmier. Le prisonnier de guerre espérait être libéré pour la rentrée universitaire de 1946 et enjoignait les siens de l’inscrire en faculté. Il étudiera effectivement la médecine pendant un semestre à Mayence, avant de se résoudre à constater que son pouce gauche meurtri entraverait sa pratique quotidienne d’un métier alors encore très manuel. Il n’aura pas trouvé le remède pour se guérir de « l’infection » engendrée selon lui par ce premier travail de traduction. Il n’aurait jamais osé traduire Molière et se mesurer aux traductions éminentes, s’il n’avait pas été coupé du monde. La quarantaine a parfois du bon. Mais elle ne protège pas toujours des contaminations.  

 6. März: man ist infiziert

"Mein erstes, wahrscheinlich entscheidendes Übersetzer-Erlebnis hatte ich im Winter 1946 in einem amerikanischen Kriegsgefangenenlager auf französischem Boden. Es war auf dem Gelände des Truppenübungsplatzes Mourmelon von deutschen Kriegsgefangenen errichtet worden. Eine Barackenstadt für 2000 Menschen mit einem selbstgebauten Theater. Eines Tages wurde ich ans Lagertor gerufen, um dort die Fragen eines französischen Gendarmen zu übersetzen. Ich kam mit ihm ins Gespräch. Er fragte mich nach meinem Alter.- Es war zufällig mein Geburtstag. Ich erzählte von unserem Theater und bedauerte das Fehlen einer Bibliothek. 'Wir haben keine Stücke, wenn wir ein Molière-Bändchen hätten, könnte man eine Farce übersetzen.' Am Nachmittag desselben Tages wurde ich zweites Mal zum Lagertor bestellt. Man sagte mir: 'Ein französischer Gendarm hat ein Geburtstagsgeschenk für dich abgegeben.' Als ich, mit Tabak als Gegengabe, dort ankam, war der Gendarm schon verschwunden. Er hatte ein Molière-Bändchen besorgt. Ich übersetzte frei - sehr frei -die Farce 'Le Médecin malgré lui/Der Arzt wider Willen'. Es heißt darin an einer Stelle: 'Là où la chèvre est liée il faut bien qu'elle  y broute. / Da, wo die Ziege angebunden ist, muss sie grasen." Das hieß in diesem Fall, ein Taschenlexikon musste für die Übersetzung ausreichen, und wenn sich Schwierigkeiten ergaben, musste ich auf die Schulkenntnisse von Kameraden zurückgreifen. Unter anderen Umständen hätte ich mich wahrscheinlich nie an die Übersetzung eines klassischen Textes gewagt, und so erheiternd die Aufführung auch gewesen sein mag, die wir der überaus freundlichen Geste des französischen Gendarmen von Mourmelon verdankten, der Text verlor seinen Wert in dem Moment, in dem sich die Lagertore öffneten und der Vergleich mit anderen vorliegenden Übersetzungen möglich wurde.

Hat man einmal versucht, sich übersetzend einen fremden Text anzueignen, ist eine Schwelle überschritten; man liest hinfort nicht mehr über Schwierigkeiten hinweg, wie man es bei der Lektüre fremdsprachiger Bücher leicht tut, man stutzt vielmehr an den Stellen, die man nicht sofort begreift. Die Schwierigkeiten werden zu Herausforderungen. Man ist infiziert. Dann genügen ein paar günstige Umstände, ein paar Zufälle, und aus der Anfälligkeit wird eine Krankheit, eine Leidenschaft."